Critique publiée en juin 2012

BALLADES, FAUSSES NOTES, REMIX ET QUELQUES TUBES

En 1996, Namie Amuro a déjà atteint le sommet de sa carrière. Lorsqu'elle sort son premier album solo, le très attendu Sweet 19 Blues, c'est le raz-de-marrée. Tout ce qu'elle touche se transforme en or. Pourtant, je ne trouve pas l'album à la hauteur de son succès. Une partie de l'explication se trouve probablement dans le fait qu'il est sorti il y a plus de 15 ans. Il est difficile de se remettre dans le contexte et d'apprécier des arrangements totalement dépassés aujourd'hui. Néanmoins, j'ai vraiment pris le temps d'apprendre à connaître chaque piste, puisque mon admiration envers la chanteuse m'a poussée à forcer les écoutes de chansons que je n'aimais pas vraiment. D'ailleurs, je dois reconnaître que le matraquage peut fonctionner, étant donné que j'ai fini par adhérer à quelques morceaux de ces années là. Mais vraiment, pas à l'album !



Avant de me lancer en profondeur dans ma petite critique de Sweet 19 Blues, j'ai envie de revenir sur son design général. C'est ce qui m'a surprise en premier lieu. Pour une jeune chanteuse à la mode, il n'y a rien dans les clichés qui soit provocateur ou ne serait-ce qu'un peu décolleté. Mon côté féministe a envie de dire que ça fait fortement plaisir, même si 1996 n'avait pas encore été touché par les vagues de Britney et autres Christina. En fait, Namie a même une certaine classe dans ces clichés en noir et blanc. L'ambiance très sérieuse et posée qui s'en dégage n'est d'ailleurs pas si innocente que cela quand on écoute l'album : la chanteuse avait beau être surnommée "la reine de la J-pop", elle a enregistré bien plus de ballades que de chansons dansantes. C'est d'autant plus surprenant qu'elle a cartonné avec quatre singles très énergiques et entraînants. Peut-être cherchait-elle déjà à varier un peu les sonorités de ses morceaux, ou à prouver qu'il ne fallait pas simplement la cantonner à de la dance ? La déroute n'en est pas moins manifeste. Alors pour guider l'auditeur en douceur vers les différentes inédites et portions de la galette, des interludes parlées ou instrumentales très calmes et vieillottes (violons grandiloquents...) ont été placées ci et là. Personnellement, je ne les aime pas particulièrement. La seule qui a un tantinet de caractère est celle qui porte le nom de Joy et qui est plus mouvementée que les autres dans le sens où elle verse carrément dans des sonorités urbaines et dans le rap. Ce qui m'a d'ailleurs déçue : pourquoi ne pas en avoir fait une chanson entière ? (Ce sera chose faite un mois plus tard, sur le single Sweet 19 Blues). Sans plus attendre, passons donc au gros morceau de l'album, à savoir les ballades.

Sur les 19 pistes de la galette, il faut retirer les fameuses interludes qui sont au nombre de 8. Ce qui nous fait uniquement 11 chansons au total. Et oui, il n'y en a pas tellement. A l'époque, on avait déjà entendu les 4 singles dynamiques qui avaient précédé l'opus. On fait donc connaissance avec 7 inédites, parmi lesquelles pas moins de 5 ballades : Private, rainy dance, I was a fool, Present et Sweet 19 Blues. Je n'ai pas grand chose à dire à leur sujet tant elles se ressemblent et me paraissent inintéressantes. Elles sont trop typiques des années 90 (même du début des années 90...) pour tout auditeur de 2012. C'est très vite l'overdose de trompettes romantiques kitsch à souhait, sans parler des arrangements qui sont totalement dépassés. C'est un peu comme écouter un très vieil album de Celine Dion de ce point de vue là... Heureusement, Private et Sweet 19 Blues tirent leur épingle du jeu. La première s'apparente d'ailleurs bien plus à un mid-tempo qu'à une ballade. Ceci explique cela. Namie passe le plus clair de son temps à parler. La sonorité de la langue est parfaitement mise à profit, et s'appuie sur une rythmique à la batterie et à la basse. S'il n'est plus vraiment commun d'entendre des chansons où tous les instruments sont "authentiques" dans la pop d'aujourd'hui, cette piste passe encore très bien. Je dirais même que son instrumentation est un énorme atout. Elle est hypnotique de par son atmosphère mystérieuse et son rythme sautillant soutenu par des percussions. De son côté, Sweet 19 Blues est bel et bien une ballade classique qui souffre aussi de son vieillissement évident. Pourtant, elle reste agréable et mignonne grâce à sa légèreté et sa mélancolie optimiste. Restant sur des lignes mélodiques assez simples, ces deux chansons sont aussi sauvées parce qu'elles ne demandent pas de grand effort vocal à Namie, alors que les autres ballades peuvent en faire grimacer plus d'un.

En effet, pour écouter cet album, il faut être prêt à accepter une voix très hésitante, criarde et haut perchée dès que les notes à atteindre sont un peu hautes et aiguës. Autant dire que c'est souvent le cas quand on parle de musique, même pop. En dehors du style dance arboré en single par Namie, c'est l'autre raison pour laquelle je n'ai pas vraiment compris l'initiative d'enregistrer autant de ballades pour cet album. Après tout, rien que sur les morceaux dynamiques, on n'est pas épargné par le travail vocal criard et flirtant régulièrement avec les fausses notes. Si l'on fait l'effort de passer outre la voix de la chanteuse, on pourra apprécier les morceaux entrainants de l'opus : LET'S DO THE MOTION est de loin la meilleure inédite avec ses couplets parlés et emplis de rimes, ses refrains puissants en choeur, ou encore son rythme clinquant comme le fera Britney Spears plus tard. En dépit de la voix criarde de Namie, Don't wanna cry déborde d'un enthousiasme contagieux avec ses choeurs gospel ; on pourra cependant regretter son remaniement par rapport à la version single, tant la trompette kitschounette n'apporte rien. La très dance et déjantée Chase the Chance a beau être horrible vocalement et totalement dépassée musicalement, elle reste prenante grâce à ses couplets criards scandés avec un accent anglais des plus ...marqués ; on pourra là encore regretter le remaniement instrumental qui perd le punch de l'originale. Enfin, la très enjouée I'LL JUMP surfe clairement sur le style dansant qui a rendu Namie célèbre avec sa batterie clinquante, son vieux synthétiseur et ses refrains en choeurs ; à défaut d'être exceptionnelle, elle est plutôt sympathique mais très vite répétitive.

Enfin, je vais terminer avec un paragraphe à part pour les deux tubes qu'ont été You're my sunshine et Body Feels EXIT. Elles ont aussi été remaniées pour l'occasion. Malheureusement, là où leurs collègues Don't wanna cry et Chase the Chance passent encore plutôt bien, elles vont droit dans le mur. Elles sont bruyantes, casse-tête et répétitives. Et avec ce nouveau visage, elles font encore plus ressortir la voix criarde de la chanteuse. On n'en avait vraiment pas besoin ! Par conséquent, pour la préservation de ses délicates oreilles, il est vivement recommandé d'éviter le massacre, purement et simplement. Vous l'aurez compris, la maison de disque a fait le choix de remixer les quatre singles inclus sur l'album. Ce choix s'explique sûrement par le succès colossal rencontrés par les quatre titres en question. Trois d'entre eux ont quand même dépassé le million d'exemplaires vendus ! Et le dernier (Body Feels EXIT) n'en était vraiment pas loin. Peut-être les producteurs et compositeurs se sont-ils dit qu'il valait mieux donner une bonne raison au public d'acheter un album : ils ont misé sur une relative "nouveauté" en donnant une sorte de second souffle aux singles. L'ennui, c'est qu'à chaque fois, ils se sont plantés en beauté, puisqu'aucune des nouvelles versions n'arrive à la cheville de son aînée. Certes, Don't wanna cry et Chase the Chance ne sont pas très éloignées de leurs origines et s'écoutent encore facilement. Mais c'est une autre histoire pour les pauvres You're my sunshine et Body Feels EXIT qui sont massacrées. En fait, elles ressemblent tout bonnement à des remixes. Ce qui a tôt fait de les étirer en longueur tout en les rendant trop répétitives. Le pire étant Body Feels EXIT qui dispose d'une introduction de 4 minutes 20 !!! Et puis zut, c'était une chanson purement pop-dance, qui perd son synthétiseur punchy pour des sonorités latines beaucoup moins adaptées à la mélodie. Où est la logique ?! A bas les remixes !! L'album se tire une balle dans le pied tout seul en éliminant deux des tubes qui auraient dû y figurer... (même s'il se trouve qu'en fait, j'ai toujours trouvé You're my sunshine nulle, remix ou pas).



Conclusion : Sweet 19 Blues est un album qui a mal vieilli. Il faut s'accorder un moment pour accepter ces sonorités kitsch sur les ballades et très dance sur les pistes dynamiques. Il faudra aussi faire un gros effort pour supporter la voix criarde et souvent à la limite des fausses notes de Namie Amuro. Cela fait beaucoup, mais une fois les barrières tombées, on découvre plusieurs morceaux sympathiques, que ce soit grâce à une mélodie tubesque (LET'S DO THE MOTION), un délire momentané (Chase the Chance), une ambiance prenante (Private), ou ecore un charme certain (Sweet 19 Blues). Il n'en reste pas moins qu'il y a trop de ballades, quand on sait qu'à cette époque, Namie n'avait absolument pas la voix adaptée pour, et qu'en plus, elles se ressemblent trop. L'album est aussi le témoin d'une autre grosse erreur qui a consisté à remixer les quatre singles. Si deux d'entre eux s'en tirent sans trop de dégâts, les deux autres sont anéantis ; et de toute manière, les quatre sont nettemment inférieurs à leur version d'origine. En d'autres termes, c'est comme s'il fallait se consoler tant bien que mal avec les inédites réussies que sont LET'S DO THE MOTION, Private et Sweet 19 Blues. Cela me paraît être une maigre compensation.

Note : 3/10

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