Critique publiée en juin 2012

GENIUS 2.0 : EXPERIMENTATIONS HASARDEUSES

Il ne faut même pas attendre un an pour que Namie Amuro livre son quatrième album à la suite du décevant Genius 2000. break the rules a beau signifier "enfreindre les règles", ce n'est pas du tout le cas. La seule nouveauté qu'il apporte est la disparition des numéros dans les titres d'albums de la chanteuse. Je crois que là est la plus grande infraction aux règles qu'il ait commise... Ainsi, il est dans la droite lignée du précédent opus. Mais il a au moins le mérite de rectifier le tir concernant quelques erreurs de début d'année. Il ne faudrait cependant pas se réjouir trop vite, puisqu'il le paie aussi par un son plus expérimental. Et ce n'est pas toujours plus enthousiasmant pour les petites oreilles des auditeurs. En fait, je pense que break the rules est sorti bien trop vite, et que Namie n'a pas pu prendre le temps de respirer pour prendre du recul par rapport à son troisième album...



Break the rules semble précipité. Puisque Namie est sur la pente descendante, Avex Trax, sa maison de disque, a très certainement voulu profiter du regain d'intérêt suscité par le single NEVER END, vendu à plus de 600 000 exemplaires. Si c'est loin d'égaler les plus grosses ventes de singles de la chanteuse, ce sont des ventes similaires à ce qu'elle avait déjà fait pendant sa période de gloire. Et puis, il ne faut pas faire la fine bouche puisque ce sont aussi ses plus grosses ventes depuis I HAVE NEVER SEEN, son single de retour. Un single au succès beaucoup plus modeste plus tard, Avex n'attend même pas la sortie du troisième extrait pour placer le nouvel opus sur toutes les étagères des magasins. Ce qui vaudra d'ailleurs à Namie un "recut single" comme disent les anglophones. C'est-à-dire un single qui sort après l'album dont il est extrait. Si cela ne vous choque pas, sachez qu'au Japon, c'est un cas de figure extrêmement rare. Les artistes préfèrent aligner une moyenne de quatre singles avant de lancer l'album comme phase finale d'une ère. Aussi, cela veut dire qu'un album réalise la partie la plus significative de ses ventes lors de ses quelques premières semaines d'exploitation, puisqu'il n'est quasiment jamais soutenu par un nouveau single. Lorsque c'est le cas, c'est un suicide commercial pour la pauvre chanson désignée comme nouvelle face A. Les artistes pop étant souvent friands de records, ils préfèrent ne pas prendre le risque de briser une chaîne de #1 par exemple. Je constate que je pars dans une digression totale due à l'exploitation assez atypique de break the rules. Si cela peut expliquer son score décevant dans les classements, je pense que la raison majeure se trouve ailleurs.

Premièrement, Namie n'a sorti que deux singles, ce qui est peu. Mais surtout, break the rules ne change pas la formule de Genius 2000 si ce n'est qu'il est plus mélodique, mais en contre partie beaucoup plus expérimental. Oui, il y a donc des différences. Mais c'est la seule fois dans la carrière de la chanteuse où deux albums se ressemblent autant. break the rules est à mes yeux une prolongation de Genius 2000, dans le sens où il semble inclure des chansons qui auraient dû y figurer. Par exemple, j'avais mentionné mon regret concernant les sonorités électroniques et synthétiques présentes uniquement dans la chanson LOVE 2000. Il me semblait dommage qu'elles ne soient pas plus utilisées dans un album dominé par des mid-tempos traînants et des ballades soporifiques. De même, de manière générale, les up-tempos ont toujours sié à Namie et ils ont brillé par leur absence en début d'année, pour finalement revenir en fin d'année. Quelque part, quand j'entends des Never Shoulda, Girlfriend et surtout break the rules, j'ai l'impression qu'ils possèdent l'énergie et l'ambiance plus sombre qui faisait défaut à Genius 2000. break the rules, c'est donc une mise à jour, une sorte de patch correctif de Genius 2000. Certes, cela fait plaisir dans un sens. Mais dans l'autre, cela empêche Namie d'aller de l'avant. Et puisque c'est une période de crise identitaire musicale pour la jeune femme, ce n'est pas nécessairement judicieux de remettre le couvert.

L'album se divise en trois parties distinctes, mais pas égales. L'ouverture se fait avec deux mid-tempos, soit les titres les plus étranges de l'album. Il faut effectivement une bonne dizaine d'écoutes pour s'habituer à cet étrange résultat causé par le mélange d'une mélodie bizarre et d'une ambiance tout aussi inhabituelle. Je me rends compte que ma description ne doit pas paraître très sensée, ou qu'elle doit du moins sembler bien difficile à comprendre. Mais le fait est que j'ai dû écouter des dizaines de fois No More Tears et Better days, et ce n'est d'ailleurs que récemment que j'ai appris à les apprécier un peu plus (pour être honnête, je les ai longtemps détestées, particulièrement la première). No More Tears suit une ligne mélodique inconstante, où les refrains ne cessent de monter dans les hauteurs, pour revenir en arrière et repartir de plus belle, un peu comme si on s'amusait à augmenter peu à peu le volume pour le baisser rapidement et répéter l'opération. Aussi, je ne suis toujours pas convaincue par ce drôle de mid-tempo. Better days suit le mouvement avec grâce et fluidité, mais en ayant la décence de paraître plus "standard" : même s'il y a un drôle de son aigu en arrière plan, on retrouve des refrains plus classiques, et on arrive à mettre le doigt sur une certaine ambiance, ici l'optimisme (pas trop prononcé, mais on sent quand même la légèreté de la mélodie tout au long de la piste). Reste que c'est encore une chanson plutôt exprimentale, ou en tout cas assez bizarre dans le répertoire de Namie. Ce n'est donc pas ici que l'on a affaire à des tubes. Et c'est un démarrage très délicat pour un album.

La deuxième partie de l'album est conséquente. Il s'agit des up-tempos ! Grande nouvelle : ils sont de retour en grand nombre ! C'est déjà ça de pris. Et c'est bien ce qu'il faut se dire puisqu'il faut vite accepter qu'il n'y a pas de tubes dans le lot. On commence d'ailleurs la catégorie par break the rules, un morceau tout aussi expérimental que les deux précédents (de quoi faire une transition réussie d'une section de l'album à l'autre...). La chanson est basée sur une rythmique assez lourde (mais discrète dès que Namie chante) et des sonorités synthétiques assez mystérieuses (qui me rappellent les musiques caricaturales des aliens verts... si si !). Les couplets sont du rap intégral, ou en tout cas un parlé avec le ton. C'est un parti pris déroutant mais gagnant. L'ennui, c'est que la chanson pêche un peu avec ses refrains extrêmement répétitifs, où l'accent anglais de Namie a de quoi laisser dubitatif ("let's bleak de lules"...). Avec le temps, je tiens à préciser que c'est quand même devenue mon inédite préférée et que je l'aurais bien vue figurer sur Genius 2000 à la suite de LOVE 2000. En parlant d'anglais aléatoire, l'autre piste dynamique est un titre pop entraînant, très simple et entièrement en anglais : Looking for You. Il s'écoute plutôt facilement, mais il s'oublie malencontreusement tout aussi vite. On retombe dans les expérimentations étranges avec PLEASE SMILE AGAIN qui ne cesse d'alterner entre pop rock relativement dynamique, couplets parlés, et petit break sur piano "magique" (vous savez, style conte de fées ou jeux-vidéos... si si !). A premier abord, il y a de quoi être totalement rebuté par cette bizarrerie. J'ai néanmoins fini par adhérer aux couplets parlés et au délire du piano tout droit venu d'un jeu-vidéo. En revanche, les refrains sont restés trop répétitifs à mon goût. Et puis, la version single était légèrement supérieure à cette version remaniée dont le son paraît plus étouffé.

Il reste 3 autres chansons dynamiques que je n'aborderai pas dans l'ordre. Ainsi, au lieu de vous parler de Never Shoulda, je vais vous parler de Cross Over qui a d'ailleurs elle aussi été modifiée (c'était la face B de PLEASE SMILE AGAIN). J'admets ne pas connaître cette version. Je ne pourrai par conséquent pas faire de comparaison, même si je suppose que l'originale était supérieure étant donné mon historique avec les nouvelles versions des chansons de Namie... Cross Over est une chanson plutôt entraînante, malgré une mélodie assez posée et régulière. On sent bien la tension augmenter au fur et à mesure que l'on approche des fameux "cross over... watashi... ect". C'est une piste très agréable à l'écoute, mais force est de constater qu'elle l'est plus grâce à sa réussite instrumentale que grâce à sa mélodie imparable (surtout que Namie disparaît purement et simplement de son titre au bout de 3 minutes sur 5 !). Et puis, malgré sa force, l'instrumentation pourra aussi paraître chaotique. Je reviens sur Never Shoulda que j'aborderai en même temps que Girlfriend. Ces deux chansons sont des jumelles séparées à la naissance. La musique est extrêmement similaire et surfe clairement sur la mode lancée par Britney Spears en 1999-2000 : rythmique pop utilisant des "coups frappants". Les choeurs utilisés en soutien sur les refrains me rappellent d'ailleurs fortement ceux que Britney a exploités sur ...Baby One More Time, Stronger et toutes les autres. La seule différence entre les deux pistes de Namie me semble être que Never Shoulda est plus sombre et "fataliste" que Girlfriend (qui ne déborde pourtant pas de joie, loin de là). Reste que ces deux pistes sont faibles comparés à ceux de Britney. Elles semblent être des copies honorables, mais bien loin de leur modèle. Finalement, on retombe sur le problème auquel Namie avait fait face sur des pistes telles que Next To You sur Genius 2000 : les chansons sont sympathiques, mais ce ne sont pas vraiment "les chansons de Namie Amuro".

On finit l'album sur trois ballades. Oui, heureusement pour nous, ils ont limité les dégâts cette fois, et ne nous en ont servi que trois. C'est bien assez connaissant le massacre dont Namie et/ou ses auteurs sont capables. Fort heureusement, nous avons affaire à la plus grande réussite de la chanteuse en la matière depuis CAN YOU CELEBRATE?. NEVER END est une chanson très calme, très douce et presque onirique. On sent que le thème de la chanson est la paix. L'instrumentation est aussi plus traditionnelle (dans le sens culturel) que d'habitude. Cela confère une certaine personnalité à la piste et elle est immédiatement distincte de toutes les autres ballades de Namie. C'est donc une grande réussite, même si là encore, la version single lui était supérieure. On pourra aussi regretter la fin de la chanson qui s'éternise encore et encore. En dehors des fans drogués à cette chanson, je ne vois pas à qui cela peut être bénéfique ! Arrive ensuite une ballade extrêmement classique et convenue. Think of me adapte le modèle du piano-voix émotionnel avec un refrain fabriqué pour les déclarations d'amour. Le morceau se révèle plutôt plaisant, notamment grâce à un très bon travail vocal (comme c'était déjà le cas sur NEVER END d'ailleurs). Reste que ce n'est pas un incontournable. Enfin, il y a Himawari, une ballade légèrement énergique (batterie, sorte de xylophone sur les refrains), et encore une fois différente de ce que Namie avait déjà enregistré. Elle est très agréable et très jolie. A vrai dire, elle me convainc plus que Think of me, même si je l'écoute simplement parce qu'elle est là, mais pas parce que c'est un gros coup de coeur. Il faut dire que la voix de la chanteuse est un peu rocailleuse (Namie expliquera plus tard qu'elle était malade lors de l'enregistrement ! Un ré-enregistrement a d'ailleurs eu lieu sur son best of de 2002, et on entend clairement la différence ; si vous voulez découvrir la "bonne" version de la chanson, vous pourrez toujours jeter un oeil là-dessus...). Et c'est ainsi que se termine break the rules, laissant tout d'abord un sentiment étrange à l'auditeur...



Conclusion : break the rules laisse dubitatif. On sait difficilement quoi en penser lors des premières écoutes. D'un côté, il est décevant parce qu'il suit la ligne de conduite sur laquelle s'était engagé Genius 2000 sans oser vraiment changer d'air, alors que l'on sait que la chanteuse était en pleine crise identitaire et avait besoin de redéfinir sa signature musicale. D'un autre côté, il est rassurant parce qu'il rectifie plusieurs de ses erreurs, comme l'overdose de ballades, les refrains trop traînants, ou encore le manque de chansons dynamiques. Pourtant, un certain nombre de morceaux a l'air expérimental, notamment au début de la galette. Ce n'est d'ailleurs pas forcément le moyen idéal d'inviter l'auditeur à s'immerger dans l'univers musical qui lui est offert. Finalement, il n'y a pas ou peu de tubes. C'était déjà le cas sur Genius 2000. Mais LOVE 2000 ou même Mi Corazon ont l'air d'être des bombes, tellement les meilleures pistes de break the rules (Girlfriend ou break the rules) n'ont pas la carrure d'un single (en dehors de l'évidente mais longuette NEVER END). Néanmoins et curieusement, de manière globale, le quatrième album laisse une meilleure impression que le troisième, qui était lourd à digérer en entier. Aussi, même si c'est loin d'être une grande réussite, le fait d'avoir amélioré certains point de Genius 2000 a quand même eu des conséquences positives. De là à transformer l'opus en bonne pioche ? Non !

Note : 4/10

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