Critique publiée en janvier 2014
L’ALBUM DE 2010

Ce qui frappe dès les premières secondes d’écoute de cet opus, c’est que Marina a une façon bien à elle d’interpréter les titres. Elle possède une jolie voix, qui peut aller très grave et très aigu, sans pour autant être une diva à la Céline Dion, (loin de là). D’ailleurs, Marina ne semble pas chercher à être techniquement parfaite. Au contraire, elle interprète ses textes comme un acteur joue un rôle. Elle préfère donc vivre ses textes et ses mélodies avant de faire une performance vocale. Le résultat est forcément déroutant à premier abord : on a quasiment l’impression d’être au théâtre. En effet, elle n’hésite pas à être caricaturale et à forcer sur les syllabes (Mowgli’s Road, Hollywood, et Oh No! en sont des exemples flagrants). Il s’agit donc d’une sorte de second degré constant, plutôt que de la recherche de l’interprétation larmoyante. Ceci va d’ailleurs de paire avec un aspect incontournable du travail de Marina : ses textes. Contrairement à énormément de ses consoeurs, elle bichonne ses textes. Et elle ne raconte pas des petites histoires anodines d’amour, d’amitié, de joie ou de tristesse. Non, elle donne son avis sur la société actuelle. Tout y passe : l’individualisme, l’argent, la puissance des Etats-Unis, les relations sociales… Lorsqu’on allie son et paroles, il faut admettre que c’est un joli tour de force. Ses textes sont mordants et cyniques. C’est un véritable plaisir de les écouter, d’autant plus qu’ils sont renforcés par l’interprétation engagée de la chanteuse. Je pense par exemple à Hollywood (critique de l’image parfaite et hypnotique des Etats-Unis) ou à Girls (critique des relations superficielles entre filles, où l’apparence physique domine).
Je pense qu’accorder un bon gros paragraphe à l’interprétation et aux textes suffit déjà à montrer que Marina a, à mon avis, d’excellents atouts. Mais cela ne suffit pas à justifier que cet album était vraiment la pépite pop de 2010, autrement dit l’album pop à ne pas rater. En effet, il a d’autres flèches à son arc. Je n’ai par exemple pas encore mentionné les mélodies et les instrumentales. The Family Jewels a l’avantage d’être relativement varié, tout en restant cohérent. Les chansons ne sautent pas d’un style à l’autre, mais elles ne sont pas similaires pour autant. Ce qui lui permet d’être fluide, sans devenir redondant. On n’a jamais l’impression d’écouter la même piste en boucle. Et on n’a, inversement, jamais l’impression de passer du coq à l’âne. Il faut dire que l’agencement des chansons est particulièrement soigné, comme s’il s’agissait d’un dégradé de couleurs, où l’on voguait peu à peu d’une influence à l’autre. On commence ainsi avec des sonorités pop rock (Are You Satisfied?, Shampain) pour évoluer vers des sonorités plus loufoques et rétrospectives (Girls, Mowgli’s Road), qui nous amèneront ensuite vers des concentrés de pop (The Outsider, et surtout Oh No!), pour finir sur des chansons plus lentes et plus sombres (Guilty et The Family Jewels). Le tout est entrecoupé de fausses ballades inclassables (I Am Not A Robot en début de galette, Obsessions en milieu de galette et Numb en fin de galette). On sent que c’est un album qui a été réfléchi, planifié, manipulé, et peaufiné pour en arriver au résultat final : un passage incontournable.
Il faut seulement être capable de passer outre la particularité de Marina. J’ai déjà mentionné sa tendance à interpréter les textes comme si elle était au théâtre, préférant le jeu à la justesse. Vous risquez effectivement de trouver sa voix parfois agressive, voire laide. Il faut accepter le paquet entier, sans concessions : voix, textes, musiques… Comme le style a Marina a été justement qualifié, il s’agit de pop alternative. On trouve les marques de fabrique de la pop basique : des notes et des rythmes répétitifs qui entrent en tête facilement (par exemple, Guilty) ; des refrains simples et faciles à mémoriser (Oh No!, Girls ou encore l’excellente Shampain qui rappelle ouvertement le groupe ABBA). Mais Marina reste bien différente du reste de l’impitoyable monde de la pop. D’ailleurs, c’est à ce même monde qu’elle s’oppose dans ses textes, et peut-être même dans ses musiques, qui sont volontairement plus rétrospectives et authentiques que les musiques récentes (électro, dance…). La voix brute et le piano aux mélodies sautillantes vieillottes sont bien plus présents que le synthétiseur et le vocoder (I Am Not A Robot, Girls, Mowgli’s Road, Obsessions, The Family Jewels). Quelle autre chanteuse pop aurait pu avoir le cran d’enregistrer Numb, une chanson qui fait penser aux chants d’église chrétienne, plutôt qu’à n’importe quelle autre influence facilement accessible ? Mais ne vous y trompez pas ! Numb est un morceau absolument magnifique qui prend aux tripes, et qui est parfaitement à l’image de l’album : un ovni qui rafraichit le monde de la pop avec force et caractère.
Conclusion : Je le répète. C’était l’album pop de 2010 ! Il avait tous les atouts (chanteuse avec son identité, musiques efficaces et authentiques, refrains efficaces et entêtants, et paroles cyniques absolument géniales). Il est tellement bon qu’à l’époque, je redoutais déjà de voir Marina revenir avec un deuxième album (et d’ailleurs, ce deuxième album fut à mes yeux, effectivement, inférieur à son illustre aîné). Si vous n’en avez jamais eu l’occasion, je vous recommande chaudement de l’écouter.
Note : 10/10
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