Critique publiée en juin 2012

SI L'ON FAIT ABSTRACTION DU PHENOMENE, QUE RESTE-T-IL ?



En 2011, Lana Del Rey a fait sensation sur internet grâce à sa voix grave et son style très 50s. En effet, à l'heure où la dance, l'électro et autres vocoders sont de toutes les parties, la demoiselle débarque avec trois chansons posées, calmes et rétrospectives. En d'autres termes, c'est un peu comme si elle avait rappelé aux gens qu'il est possible de chanter sans un ordinateur. Mais Lana Del Rey, c'est aussi une image de poupée montée de toutes pièces pour insister sur "l'authenticité" de ses musiques. Ce qui la démarque des autres chanteuses, mais ce qui peut aussi la rendre antipathique et maniérée... Pour le naturel, on a vu mieux ! C'est en surfant sur cette énorme vague que Lana, de son vrai nom Elizabeth Woolridge Grant, a lancé son album Born To Die en début d'année. Que nous réserve-t-elle donc en dehors de son inévitable personnage de jolie poupée rebelle ?



A sa sortie, Born To Die a récolté une belle flopée d'éloges. De manière générale, les critiques ont apprécié les sonorités authentiques des instruments. De même, les auditeurs, ces premiers qui avaient découvert et aidé à créer le buzz internet Lana Del Rey, ont aimé l'EP qui a précédé l'album... mais pas forcément l'album lui-même. Il y a donc eu une partie de déçus, qui a estimé le contenu nettement moins bon que les quatre premiers titres qu'avait proposés la chanteuse. Ce n'est pas que je veuille bêtement me ranger avec la majorité, mais je ne peux m'empêcher d'être entièrement d'accord avec l'idée que Lana a apporté un indéniable vent de fraîcheur sur la scène pop. Ce n'est pas qu'elle a fait preuve du plus grand génie créatif de l'histoire. C'est simplement qu'elle est partie à contre-courant de ce qui se fait. Elle a exploité à fond le concept des années 50, de son image à ses musiques rétrospectives. Mais elle ne s'est pas coupée du monde d'aujourd'hui pour autant : l'image des années 50 qu'elle a choisie a été celle de la jeunesse rebelle, et pas celle du conservatisme. De même, si les instruments présents dans ses chansons sont 100% réels, ils ne plongent pas totalement dans le rétrospectif, afin de rester aptes à séduire un public d'aujourd'hui. Et finalement, l'équilibre est absolument parfait. Je trouve que la recette a été minutieusement étudiée de A à Z, de la création des chansons, en passant par leurs paroles jusqu'à la finition du livret créé pour l'album. Et mine de rien, c'est déjà un bel effort, qui mérite d'être salué.

Pour continuer dans les grandes éloges, j'ai envie de parler de la voix de la chanteuse. En dehors de l'ambiance, c'est la première chose qui m'a frappée. Ce qui est loin d'être anodin dans la musique actuelle où c'est l'efficacité de la mélodie qui prime. C'est personnellement le facteur déterminant pour moi, (et j'assume totalement). Mais chez Lana, c'est la voix qui a initié le processus de séduction auditive. Dès les premières notes de Born To Die, on est captivé par sa voix grave et suave. Peu importe qu'elle chante mal en live : sur l'album, on ne peut qu'être fasciné par ses graves. C'est indéniablement ce qui fait tout le charme de Born To Die, Blue Jeans et Video Games. Et ce n'est pas un hasard si ce sont ces trois titres qui avaient popularisé Lana sur la toile. Apparemment, c'est l'absence de sa voix grave sur le reste de l'opus qui a déçu une partie des auditeurs. Il est vrai qu'en dehors de ces trois morceaux, Lana a tendance à aller dans les aigus. Mais pour moi, cela fonctionne aussi à merveille. En effet, sans avoir un organe exceptionnel, la chanteuse possède un charme vocal incontestable. J'admire véritablement les différentes sensations que sa voix peut faire éprouver, quand elle passe de notes graves et sensuelles, à des des notes aiguës et enfantines. De plus, pour donner une touche personnelle à son interprétation, elle se laisse aller à de petits "cris" aigus du plus bel effet, particulièrement sur Off To The Races (la piste la plus "aiguë" de l'album) ou encore sur la ballade langoureuse Million Dollar Man.

Par conséquent, j'ai trouvé l'album vivant, cohérent et constant, même si toutes les pistes ne sont pas qualitativement égales. De toute évidence, la formule atteint parfois ses limites (ainsi, Carmen me paraît agaçante...). C'est d'ailleurs l'une des raisons qui me poussent à me demander ce que pourrait donner un deuxième album. Lana pourra-t-elle se renouveler tout en conservant sa signature ? Quoi qu'il en soit, Born To Die propose tout de même de nombreuses bonnes chansons. Evidemment, Born To Die, Blue Jeans et Video Games ressortent du lot. C'est celles qui étaient toutes désignées pour promouvoir l'album, puisqu'elles exploitent le plus les sonorités rétrospectives. Mais il ne faudrait pas négliger d'autres excellents titres : tout d'abord, pour moi, la meilleure chanson de l'album est Off To The Races. J'ai pu constater qu'elle était soit aimée soit détestée. Chez moi, ce fut un coup de coeur immédiat grâce à l'interprétation de la chanteuse, le débit de paroles qui ne cesse de changer et l'émotion véhiculée, notamment lors du dernier refrain. Diet Mountain Dew, enjouée et légèrement rythmée, est extrêmement facile d'accès, même si un peu répétitive ; en dépit de refrains un peu trop répétitifs eux aussi, Dark Paradise dispose de couplets poignants, tristes et envoûtants ; Million Dollar Man est séduisante et mystérieuse, et s'invite avec brio sur les terres de James Bond ; Summertime Sadness joue quant à elle plutôt bien la carte de la mélancolie ; je pourrais encore citer This Is What Makes Us Girls, la jolie Without You et même l'ovni qu'est Lolita. Bien sûr, elles sont loin de toutes valoir une Blue Jeans, mais elles contribuent à rendre l'album agréable tout du long.



Conclusion : Il m'a fallu un certain nombre d'écoutes pour vraiment distinguer quelles étaient mes pistes préférées. Ce n'est pas le signe que tout se ressemble trop jusqu'à l'overdose, mais plutôt que l'ensemble est cohérent et solide. Bien sûr, tout ne vaut pas Born To Die, Off To The Races, Blue Jeans, Video Games et Million Dollar Man. Mais en dépit de son image façonnée et d'une lassitude possible, Lana Del Rey réussit à imposer un univers, avec de vrais instruments. Et elle fait un excellent travail d'interprétation, que ce soit dans les graves, dans les aigus, ou dans le ton qu'elle emploie. Elle est investie dans ce qu'elle nous chante et cela se ressent vraiment à l'écoute des morceaux. En fin de compte, peu importe que son personnage soit faux, qu'elle soit superficielle, que le concept rétrospectif soit trop forcé, ou encore que son style soit surestimé, elle nous a quand même livré un album solide et envoûtant.

Note : 9/10

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